La réforme de l’exécution provisoire

Le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 a profondément modifié des pans entiers de la procédure civile. L’application de certaines dispositions a été repoussée au 1er septembre 2020, d’autres sont déjà applicables depuis le 1er janvier 2020. Si plusieurs de ces mesures vont bouleverser le quotidien des seuls praticiens du droit, certaines en revanche auront un impact immédiat sur les justiciables. Au premier rang de celles-ci, la réforme de l’exécution provisoire, en vigueur depuis le 1er janvier dernier, qui devient aujourd’hui le principe, là où elle était l’exception.

 

L’exécution provisoire d’une décision de justice permet son application immédiate, qu’un appel soit ou non interjeté. Dans nombre de situations, ce principe revêt une importance considérable puisque la possibilité d’exécuter un jugement, même s’il a été frappé d’appel, lui donne évidemment un intérêt immédiat. A titre d’exemple, un jugement de résiliation de bail assorti de l’exécution provisoire permet au bailleur l’expulsion effective du locataire sans attendre la décision de la cour d’appel qui peut parfois ne statuer qu’après plusieurs années.

 

Avant le 1er janvier 2020, l’exécution provisoire ne s’attachait jamais par principe à une décision de justice. Les magistrats, à la demande d’une partie au procès, devaient toujours assortir expressément leurs décisions de l’exécution provisoire. Ce principe souffrait néanmoins quelques exceptions : en référé par exemple, ou dans le cadre d’une ordonnance de protection prononcée par une juge aux affaires familiales, ou bien encore lors d’une condamnation prud’hommale ordonnant le paiement de salaire dans une certaine limite. Mais dans la plupart des cas, l’exécution provisoire n’était pas automatique. En fait, il était même assez rare que les magistrats prononcent l’exécution provisoire lorsqu’elle était demandée par une partie, sans doute parce qu’ils avaient conscience qu’avec cette mesure, l’intérêt d’un appel s’en trouverait fortement diminué.

 

La réforme applicable aux procédures intentées à compter du 1er janvier 2020 inverse le principe en revenant sur l’une des dispositions les plus anciennes de notre procédure civile.

 

L’article 514 du code de procédure civile qui prévoyait jusque-là que l’exécution provisoire ne pouvait pas, sauf exception, « être poursuivie sans avoir été ordonnée », est aujourd’hui rédigé en ces termes : « Les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement. »

 

Et l’ancien principe devient par là même l’exception puisque l’article 514-1 du code de procédure civile ajoute que « Le juge peut, même d’office, écarter en tout ou partie l’exécution provisoire de droit, s’il l’estime incompatible avec la nature de l’affaire ».

 

Il est néanmoins précisé à l’alinéa 2 que « sa décision doit être spécialement motivée ». Le Juge devra donc expliquer avec précision les motifs pour lesquelles il entend écarter l’exécution provisoire, sous le seul angle de « l’incompatibilité avec la nature de l’affaire ». Il faut noter qu’avant ler janvier 2020, le juge n’avait pas à « motiver spécialement » sa décision s’il devait l’assortir de l’exécution provisoire. Aussi, il était fréquent de lire des décisions dans lesquelles le juge se contentait d’indiquer, « il y a lieu en l’espèce d’ordonner l’exécution provisoire » sans aucune motivation spécifique. Or, la loi instaure une obligation supplémentaire de motivation pour les magistrats qui souhaiteront écarter l’exécution provisoire. L’exception au principe de l’exécution provisoire doit donc bien être entendue de façon restreinte.

 

Il convient de noter également que lorsque l’exécution provisoire a été écartée, son rétablissement peut être demandé à l’occasion d’un appel, en cas d’urgence et à la double condition que ce rétablissement soit compatible avec la nature de l’affaire et qu’il ne risque pas d’entraîner des conséquences manifestement excessives.

A l’inverse, il peut également être demandé en cas d’appel au premier président l’arrêt de l’exécution provisoire de droit. Cette possibilité fait écho à celle qui existait déjà sous l’empire de l’ancienne législation, même si les conditions sont aujourd’hui plus restrictives qu’antérieurement puisqu’il faudra démontrer l’existence de moyens sérieux de réformation, et caractériser des risques que l’exécution entraîne des conséquences manifestement excessives. Enfin, la partie qui demande l’arrêt de l’exécution provisoire alors qu’elle n’a fait valoir aucune observation sur ce point ne pourra former cette demande que si l’exécution provisoire risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la décision de première instance.

 

Quelques exceptions légales à ce nouveau principe ont été instaurées par le texte surtout dans les domaines liés à l’état civil (décisions statuant sur les demandes de rectification et d’annulation des actes d’état civil, sur les changements de noms ou de prénoms, sur les demandes en modification de la mention du sexe, les déclarations d’absence…), les domaines liés à la nationalité, ou en matière familiale pour les décisions qui mettent fin à l’instance (divorce par exemple). Néanmoins, les mesures portant sur l’exercice de l’autorité parentale, la pension alimentaire, la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant et la contribution aux charges du mariage, ainsi que toutes les mesures prises en application de l’article 255 du code civil sont, par exception, exécutoires de droit à titre provisoire. Ne bénéficient pas non plus de l’exécution de droit les décisions statuant sur les demandes relatives à la filiation, aux subsides, et les décisions statuant sur les demandes relatives à l’adoption.

Dans ces différents domaines, les magistrats restent néanmoins libres d’assortir leur décision de l’exécution provisoire.

 

Reste à savoir si les juges vont suivre l’esprit du texte en n’écartant l’exécution provisoire que de façon exceptionnelle. Une telle pratique aurait pour conséquence de rendre exécutoire de façon immédiate la quasi-totalité des décisions rendues en premier ressort, limitant ainsi considérablement l’intérêt d’un recours. Dans les faits, le principe du double degré de juridiction risque donc d’être mis à mal, aboutissant de facto à un désengorgement des cours d’appel. Il se pourrait d’ailleurs que cette considération ait bien été présente à l’esprit des rédacteurs du texte, même si c’est au premier chef l’efficacité et la modernité qui ont été avancées. Mais il est vrai qu’il est toujours plus facile de réformer la procédure en invoquant le besoin de rapidité, quitte à remettre en cause un des principes fondateurs de notre droit, plutôt que d’allouer les crédits nécessaires permettant que la justice en appel soit rendue dans un délai réellement raisonnable.

 


LGAVOCATS